Les bases de l'Enseignement
Précédemment nous avons posé le cadre qui constitue l’existence de chaque être humain : nous ne connaissons de nous que les images que nous nous sommes forgées, notre vie intérieure et notre vie relationnelle s’appuient toutes deux sur une éthique et une morale qui constituent ce que nous pourrions appeler la tradition, au sens large du terme, et notre vision du monde, notre compréhension de la vie reposent sur ce cadre étroit de la tradition, en fait, sur un ensemble de conditionnements. Cependant nous reconnaissons un élan vital, une voix intérieure qui nous poussent à aller au-delà des limites que la société, la tradition nous ont fixées. Cet élan vital nous l’avons appelé l’aspiration, l’aspiration à autre chose, à l’Autre Chose. Cette Autre Chose nous pourrions la nommer, mais au stade où nous en sommes, ce serait la faire entrer dans nos catégories, par conséquent et lui fixer des limites. Or l’Autre Chose est l’illimité.
Nous avons commencé à franchir ces limites en substituant l’obligation de conscience à la morale. Qu’entendons-nous, concrètement, par cette expression obligation de conscience, qui recouvre plus qu’un nouveau paradigme, et qui ouvre une perspective nouvelle ?
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Le premier point, est de loin le plus important, à lui seul il suffit. Il s’énonce ainsi : être honnête avec soi-même. Nous sommes tous persuadés de notre honnêteté et de notre intégrité. Chacun est sincère, lorsqu’il défend ses intérêts et ses opinions.
Mais la sincérité n’est pas l’honnêteté. Nous savons tous au plus profond de nous, au plus intime de notre être, quels sont les mobiles cachés, les ressorts secrets de nos actes et de nos pensées : le calcul, la tactique, la stratégie, l’acharnement à défendre nos intérêts.
En réalité il est bien difficile d’être véritablement honnête, car l’honnêteté, l’intégrité ne sont pas naturelles, autrement elles iraient de soi. Le problème c’est le moi, l’ego : la nature du moi, de l’ego, on pourrait dire sa substance c’est de posséder, de lutter. La morale et la tradition sont incapables de donner des êtres humains réellement, profondément honnêtes, ce n’est pas leur fonction. Elles ont pour rôle d’encadrer la convoitise et l’ambition des egos afin de rendre possible la vie en société.
Quant à l’obligation de conscience elle dénonce le faux, c’est-à-dire l’intérêt personnel ; seule la vision du faux dissipe le faux, comme le soleil dissipe le brouillard. Il n’y a ni méthode ni stratégie qui permettrait d’accéder au-delà du faux. Quand le brouillard est dissipé alors le soleil resplendit ; le soleil de l’honnêteté, de l’intégrité qui est le reflet de la Conscience, de l’Autre Chose.
Nous ne pouvons pas devenir honnêtes, de la même façon que nous ne pouvons pas décider de devenir non-violents, nous pouvons regarder sans ciller la réalité du moi que nous sommes, ce moi avec ses stratégies, ses ruses et son art de la justification. Voir cela suffit, voir c’est changer radicalement, fondamentalement. Voir est un acte de courage, voir signifie regarder sans détourner le regard, sans juger, sans rien rejeter ni retenir. Seulement regarder, sans commentaire, c’est-à-dire sans laisser s’immiscer la pensée, le discours intérieur. C’est là que réside la difficulté, la pensée est rapide, extrêmement rapide.
Ce regard sans jugement, chacun le comprend, est de l’ordre de la spontanéité, tout effort est vain en ce sens ; et nous n’y parvenons pas ou pourrais-je dire seulement par effraction, c’est-à-dire, soudainement, sans l’avoir décidé, sans rien avoir fait pour cela. Nous faisons donc face à un paradoxe : d’un côté ce regard qui relève de la spontanéité, de l’autre côté la nécessité de nous y “entraîner“.
De façon pratique, voici une méditation qui ne requiert aucune posture ni disposition particulière. Il s’agit de se donner un moment au cours de la journée ou en fin de journée pour faire un bilan de nos actes, de nos paroles, de nos pensées ; simplement les regarder, les observer sans prendre parti, sans rien rejeter ni retenir comme cela vient d’être évoqué. Ne pas juger, juste un constat. Nous verrons alors de plus en plus nettement combien l’éducation et la culture nous poussent constamment à défendre nos intérêts, à quel point nos relations sont fondées sur l’intérêt personnel. Faire ce constat c’est déjà l’honnêteté ; et l’honnêteté est le fondement de la connaissance de soi, le fondement de la transformation à laquelle chacun, chacune est appelé, le fondement de relations justes et harmonieuses, le fondement de la paix intérieure.
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Le deuxième point, est le corollaire du précédent : cesser de se plaindre, d’être une victime. Par conséquent, devenir responsable de sa vie, cesser de rendre l’autre ou la situation responsables de ce qui nous arrive.
Les tantras déclarent qu’il n’y a pas événements extérieurs, tout ce qui nous arrive est le résultat de notre interaction avec l’environnement. Pour le dire plus simplement, nos expériences sont conditionnées par nous-même : un même événement qui engendre la dépression chez telle ou telle personne, se traduit chez telle ou telle autre par un sursaut d’énergie, d’action. La racine de nos problèmes est en nous. Prenons le temps de nous mettre à l’écoute de nos pensées, de nos sentiments les plus profonds, des mouvements de notre cœur, avec ses passions, son égoïsme, mais aussi sa générosité, sa tendresse.
Nous seuls sommes responsables des problèmes, des difficultés auxquels nous sommes confrontés. Les responsables de nos malheurs et de nos échecs ne sont ni les autres ni les événements. Evidemment il y a des événements qui ne dépendent pas de nous, par exemple une guerre, un tremblement de terre, mais ce n’est pas cela notre sujet.
La société met en avent le statut de victime, elle encourage la victimisation, par conséquent l’irresponsabilité. Un être humain responsable est celui qui a su mettre fin à la plainte.
3 - Le point suivant est en relation avec les deux précédents, à savoir être honnête avec soi-même et mettre fin à la plainte. Je l’énonce ainsi : cesser de nous justifier. Avez-vous remarqué, nous passons notre temps à nous justifier ? Quand nous agissons d’une façon, que nous savons au fond de nous non–pertinente, nous avons recours à cette dérobade que l’éducation nous a apprise : justifier notre acte au moyen d’arguments, parfois habiles, mais finalement malhonnêtes. Ici le mot malhonnête n’a pas de connotation morale, et e constitue pas une condamnation, c’est juste un constat.
La justification nous l’entendons bien souvent, et nous la pratiquons sans nous en rendre compte, sa formule préférée est le “oui mais“.
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Le point suivant concerne le jugement. Nous avons une fâcheuse tendance à nous ériger en censeurs de notre prochain, ou parfois en notre propre juge. Nous sommes là face à un mécanisme profond, un acquis culturel et souvent familial.
Cesser de juger c’est aussi cesser de se comparer ; la comparaison engendre la jalousie ou l’orgueil. Mais la comparaison n’a pas lieu d’être, et pourtant la société est fondée sur la comparaison, dès l’école, et bien souvent dans le cercle familial.
Être honnête avec soi-même, c’est prendre conscience de l’intérêt personnel qui s’introduit dans nos pensées ou nos actes en apparence les plus généreux, c’est la condition pour être honnête avec autrui, c’est la base de relations vraies. Mette fin à la plainte, cesser de se justifier, mette fin au censeur en nous. Ces quatre points constituent, de mon point de vue, la base de la connaissance de soi, et le fondement à partir duquel la vie intérieure peut se déployer. Il ne s’agit pas d’idées, vous l’avez compris, mais il s’agit d’actes, d’attitudes, d’un regard différent, et finalement d’une bienveillance retrouvée, d’un chemin vers la paix intérieure. La mise en œuvre, l’incarnation d’un seul de ces points suffit, le reste vient avec.
Le texte suivant poursuit l’exploration que vous avez commencée, que nous avons commencée. Il aborde en particulier un point essentiel, qui nous concerne tous, intimement.