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L'avoir et l'être

 Le thème semble un sujet  rebattu, cependant il semble qu’individuellement et collectivement nous n’ayons pas su le résoudre.

      - L’avoir représente le désir de posséder, l’avidité qui est la nature même du moi, de l’ego. Le moi cherche la continuité, il veut exister, à tout prix ; toute son énergie est tournée vers ce désir impérieux de se perpétuer. Mais le moi n’a pas de permanence, il n’existe que le temps d’une vie humaine. Le Vedanta, qui est le courant de nos jours le plus représentatif de la tradition de l’Inde affirme fortement la non-dualité (voir note en fin de texte), laquelle replace le moi dans une perspective où il n’est plus le centre. La caractéristique du moi est cependant de se croire et d’agir en tant que centre du monde. Nous pouvons donc le définir ainsi : il est notre personnalité, somme toute superficielle et conditionnée par notre environnement, par le milieu dans lequel nous vivons.  

      - L’être représente notre moi profond que le Vedanta nomme le Soi, ou encore l’Atman (voir note en fin de texte) ; le Soi est sans conflit, sa nature essentielle est la joie et la conscience. La formule vedantine pour le décrire est “Sat Chit Ananda“, à savoir Être, Conscience, Félicité. Le problème est que nous nous identifions à notre personnalité et à notre corps, les deux étant par nature impermanents. Et nous oublions le Soi, notre véritable nature. Eloignés du Soi, nous vivons dans le conflit et la peur, qui revêtent d’innombrables formes. En termes simples nous nous prenons pour “moi“ : c’est l’identification erronée que nous venons de décrire, qui consiste à croire que nous sommes le corps et la personnalité. Cette fausse identification est la source de nos conflits et de nos souffrances.

 

La voie du renoncement et la voie du non-attachement

 

Presque toutes les cultures, et c’est le cas avec le Vedanta, ont tenté d’opposer l’avoir et l’être, ce qui se traduit ainsi : moins je possède, plus je suis. Ce qui en résulte c’est le renoncement au moyen de l’ascèse. Il s’agit de lutter contre le désir, sous toutes ses formes. La raison est que le désir a toujours pour but la possession : le moi accumule les objets, qu’ils soient matériels, mentaux (les idées, les croyances, la réputation) ou affectifs (la possession psychologique).

Le Shivaïsme du Cachemire est un autre courant de la pensée indienne ; contrairement au Vedanta il considère le désir comme l’essence même de la vie. Tout est désir, le renoncement équivaut à étouffer l’énergie de vie. Le désir est l’essence du Réel, dont la représentation est Śiva. Le Shivaïsme du Cachemire n’incite cependant nullement à assouvir tous ses désirs, comme c’est le cas aujourd’hui où le but et le sens de la vie qui nous sont proposés ne sont autres que l’assouvissement sans délai de tous nos désirs, de nos  moindres envies, de nos pulsions : seul compte l’objet du désir. Rien de tel pour les maîtres du Shivaïsme du Cachemire, pour lesquels il est question de tout autre chose :  reconnaître dans chaque désir, la manifestation de la vie. Ainsi l’objet s’efface derrière le désir nu. Il y a donc non-attachement à l’objet ; je pense qu’il est important de saisir la différence entre ces termes : non-attachement, détachement et renoncement. Le détachement suppose une prise de distance avec le monde, le renoncement signifie que nous ne nous impliquons plus du tout dans le monde, alors que dans le non-attachement il y a une implication, mais dénuée d’avidité et d’ambition. Seul le non-attachement permet la reconnaissance de la Réalité jusqu’ici cachée, et que révèle le désir. A ce Réel le Shivaïsme a donné un nom, Śiva. 

 

 

Les conditions requises quelle que soit la voie

 

Le Vedanta comme le Shivaïsme insistent sur les étapes de la vie spirituelle. Pour entendre un enseignement il faut d’abord savoir écouter. L’écoute est un art, qui comporte sa propre discipline qui consiste à nous affranchir, au moins en partie de l’agitation, de la peur, et d’établir le calme intérieur.

Nous écoutons souvent en ramenant ce qui est dit à nos propres opinions, à nos croyances, à nos tendances. Pour écouter vraiment  il faut  les abandonner sur le champ. En d’autres termes laisser le moi en retrait. Voilà la première étape, à l’issue de laquelle nous sommes aptes à entendre. Autrement nous naviguons entre le refus et l’acceptation sans discernement. C’est cela que le Vedanta appelle purification : sans aucune connotation morale il est seulement question de voir et éliminer toutes les “impuretés“ qui font obstacle à une perception juste, sans déformation, de la même façon que l’on ôte la poussière sur la surface du miroir pour obtenir une vision nette et sans déformation aucune.

Et entendre vraiment c’est comprendre. Au début de ce processus, écouter, entendre, comprendre, il y a un préalable : le calme intérieur, la non-agitation. C’est par là que nous devons commencer.

 

                                                                                                                                                                                           

 

Non-dualité : le monde dans lequel nous vivons n’est pas le Réel, il n’y a qu’une seule réalité, que le Vedanta nomme Brahman, que le Shivaïsme appelle Śiva. Le monde serait même une illusion, une construction du mental. Certains mystiques chrétiens et soufis décrivent cette même expérience non-duelle, où toute séparation est abolie, où le moi se fond dans l’Ultime Réalité, quel que soit le nom qu’on lui donne. De nombreux philosophes également proclament la non-dualité, depuis Héraclite, Plotin jusqu’à Spinoza, et parmi les contemporains, Schopenhauer, Heidegger, Deleuze.

 

L’Atman : c’est l’un des concepts-clés du Vedanta qui énonce l’identité fondamentale de l’Atman et de Brahman : “L’Atman est Brahman“.

Ceci désigne le monde manifesté, par opposition à Cela qui désigne l’absolu, que le vedanta nomme Brahman.

 

L’ignorance fondamentale est celle de notre vraie nature, à saoir que nous ne sommes pas le moi mais Soi.

“Au tout début purifie ton disciple par la quête de l’excellence, par exemple dans la tranquillité d’esprit, dans la retenue de l’activité sensorielle etc. Par la suite communique-lui ton enseignement, à savoir que ce monde tout entier est Brahman, c’est-à-dire l’Atman dans sa pureté absolue.

Celui qui par malheur enseigne à un ignorant ou à un disciple semi-éveillé que “tout ceci (voir note en fin de texte) est Brahman“ le fera en fait plonger dans des enfers sans fin.

Mais un disciple dont l’intellect a été bien éveillé, dont le désir de jouissance a été bien éteint (l’upanishad s’adresse à des renonçants) et qui est libre de toute attente, se retrouve débarrassé de toutes les impuretés nées de l’ignorance fondamentale (voir note en fin de texte). Le maître avisé est en droit de lui prodiguer son enseignement.“

 

                                                                                                                                                                                                           Maha Upanishad    V - 104 à 106  

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