Le commencement
Dans le texte précédent nous avons souligné que l’Enseignement c’est avant tout une attitude, qui constitue un profond changement puisqu’il est question de faire face à la vie, à faire face à soi-même. En effet bien souvent nous ne connaissons de nous que les images que nous nous sommes forgées ; ces images nous permettent d’éluder la réalité de ce que nous sommes réellement. Le texte se terminait sur une réflexion portant sur l’importance de tout commencement ; pourquoi ? parce que tout le devenir est inscrit dans le commencement.
La lecture de ces textes vous introduit dans un commencement. Tout commencement requiert de notre part de mettre notre énergie, toute notre énergie et l’élan qui nous porte dans ces premiers pas.
Tout d’abord j’aimerais revenir sur l’Enseignement ; celui-ci comporte deux aspects :
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l’observation de soi, qui est le moyen de faire face à soi-même comme je l’ai souligné, faire face à ce que nous sommes réellement, au-delà de l’image de soi que chacun entretient et défend coûte que coûte.
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le second aspect est l’étude : celle des livres, des plus anciens aux plus contemporains, qui à travers le temps et les différentes cultures, constituent les vecteurs de la sagesse, de la connaissance ; la science aujourd’hui, notamment la physique, corrobore un grand nombre d’intuitions des sages d’autrefois.
Je n’ai d’autre prétention que de mettre en forme, d’actualiser cette connaissance, cette sagesse, afin de vous les rendre accessibles, car je sais qu’on est vite découragé par un langage ancien, ou récent quand il nous parait alambiqué. Et c’est votre attention, votre écoute soutenues par l’aspiration qui vous anime, qui transformera ces mots en un dialogue, un dialogue intérieur, entre vous et la réalité que mes mots seront parvenus à transmettre.
Que connaissons-nous de la vie, que connaissons-nous de nous-mêmes ? Nous en savons ce que notre culture nous a légué. Alors nous commencerons par là. Voyons d’abord sur quoi les différentes cultures sont fondées, depuis toujours jusqu’à aujourd’hui.
Les civilisations qui se sont succédées sur tous les continents, depuis les temps les plus lointains jusqu’à l’époque actuelle, celle de la mondialisation, se sont interrogées sans exception sur la question du commencement, à savoir la question de l’origine du monde et de l’homme. Ces réflexions ont donné lieu à des mythes qui tentent d’apporter une réponse sur laquelle établir une culture et une morale.
L’univers est envisagé comme une création, c’est le cas de la Bible, du Coran et des Védas ou comme une émanation, c’est le cas du Shivaïsme. La différence entre ces conceptions importe peu pour notre propos. Ce que je voudrais souligner ici, c’est que l’origine du monde, de l’univers réside dans la vibration, sous la forme du son : la Parole de Dieu dans l’Ancien Testament, le Logos selon Saint Jean, pour qui ce Logos, ce Verbe est le Christ. En Inde, le Shivaïsme attribue l’émanation du monde à Paravak, la Parole Suprême. De même que pour Saint Jean le Verbe est le Christ, le Shivaïsme considère que la Parole Suprême est Shiva, sous la forme de Paramashiva, l’aspect suprême de Shiva. Remarquez la convergence avec la science contemporaine et sa théorie du Big Bang. Les Purana décrivent, avec une grande logique, les étapes de cette émanation, et les conditions qui ont permis à chacune de ces étapes de se manifester et de se déployer. Les Purana sont des textes tardifs dont la rédaction aurait débuté au IVème siècle, mais qui reprennent les traditions du Shivaïsme ancien, beaucoup plus éloignées dans le temps.
Les traditions les plus anciennes s’accordent à dire que le monde est bon, il n’est pas encore question d’enfer, les religions s’occuperont de le créer. Selon le Shivaïsme, la création est le reflet de la Conscience, et sa nature est la joie. Elle est faite pour la joie, pas pour le conflit, la peine et l’affliction. Pour reprendre la terminologie que j’avais proposée, le monde est la superstructure que l’homme a imposée à la Terre ; c’est le monde qui a introduit la division et la souffrance.
En d’autres termes l’être humain est responsable du malheur, de la souffrance ; nous aurons l’occasion d’explorer cette question. Je peux souligner d’ores et déjà que le sens du moi, de l’ego engendre la division : il y a moi et les autres. La division entraine le conflit, la lutte et par conséquent la souffrance. La guerre est d’abord en nous, puis dans notre cercle le plus proche, et finalement dans le monde. C’est en cela que chacun est responsable d’entretenir la guerre en raison de ses propres conflits ou d’engendrer la paix ; la réconciliation fait advenir la paix, réconciliation avec autrui, et d’abord avec soi-même. Encore une fois il s’agit de faire face à soi-même ; et ce n’est pas facile, car nos résistances sont puissantes, enracinées. Cela demande du courage, selon l’expression populaire, ne pas avoir froid aux yeux.
Donc les civilisations, les cultures ont organisé des rites, elles ont élaboré des concepts religieux, chaque concept, chaque croyance donnant lieu à une morale particulière.
Le bouddhisme a établi un constat, celui de la souffrance ; à partir de là, il a cherché la voie pour libérer l’être humain de la souffrance. Dans ce but le bouddhisme énonce les 10 actes négatifs (certaines traductions préfèrent dirent nuisibles). Je garderai l’expression actes négatifs, car elle est devenue courante. On comprend la démarche : ces actes sont les causes du désordre, lequel désordre engendre le conflit, la souffrance et la confusion. Voici ces dix actes négatifs :
- tuer
- voler
- une conduite sexuelle incorrecte
- mentir
- une parole qui va à l’encontre du dharma
- une parole blessante
- une parole futile, frivole
- la possessivité
- la malveillance
- des conceptions erronées c’est-à-dire qui ignorent le dharma.
En premier ne pas tuer : cela va de soi direz-vous, mais pas pour tout le monde ! Nous pouvons l’interpréter comme le fait de ne pas commettre de meurtre, ce qui ne serait déjà pas si mal. Mais il y a aussi des paroles qui tuent, psychologiquement s’entend, voire des gestes, des regards. Nous pouvons aussi l’envisager comme une interrogation sur le fait de prendre la vie des animaux pour nous nourrir, ou simplement par loisir.
Voler : il y a bien des manières de voler, par exemple l’accumulation de richesses par les plus nantis constitue une spoliation dont sont victimes les plus pauvres. Quant aux manières légales de voler elles ne manquent pas.
Une conduite sexuelle incorrecte : celle-ci dépend des normes d’une société donnée. Quoi qu’il en soit, la question de la sexualité est la question qui occupe la place centrale dans toute société, dans toute culture, car c’est elle qui détermine les règles et les relations au sein de cette société.
Mentir : il y a là aussi bien des manières de mentir, par exemple falsifier la vérité, ou encore par omission, volontaire s’entend. Nous pouvons aussi mentir par nos actes, nos attitudes.
Une parole qui va à l’encontre du dharma : le dharma en Inde et pour le bouddhisme, c’est la loi cosmique, l’ordre du monde. Nous pourrions paraphraser ainsi : créer la discorde entre les êtres, mais aussi entre les groupes, les nations etc.
Une parole blessante, autrement dit la calomnie, la médisance, la mesquinerie.
Une parole futile, frivole : non seulement cela ne sert à rien mais surtout cela nous éloigne de notre vérité et de notre dignité.
La possessivité, c’est-à-dire la convoitise, l’avidité, bref le désir de posséder, de posséder toujours plus, un désir aujourd’hui érigé en vertu.
La malveillance : elle se glisse souvent dans les petites choses, parfois à notre insu.
Des conceptions erronées, des vues fausses en ce qui concerne le dharma ; celles-ci sont le fruit de notre ignorance fondamentale. Les savoirs que nous avons acquis ne sont pas la connaissance et bien souvent ils augmentent notre ignorance.
Par contraste, les dix actions nuisibles évoquent les dix actions bénéfiques :
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ne pas tuer devient respecter la vie sous toutes ses formes
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voler devient la générosité
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une conduite sexuelle incorrecte devient une conduite éthique, profondément respectueuse de l’autre, à la base de la sexualité
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mentir devient la véracité
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une parole à l’encontre du dharma devient le fait de créer l’harmonie, la paix entre les êtres
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une parole blessante devient le fait de parler de façon positive de notre prochain
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une parole futile devient une parole qui a du sens, qui est utile
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la convoitise devient le contentement, c’est-à-dire se contenter de ce que l’on a
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la malveillance devient la bienveillance envers tous les êtres
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des conceptions erronées qui ignorent le dharma, cela devient l’étude , l’écoute, l’acte d’apprendre afin de se connaître et de connaître le dharma.
La tradition juive possède le Décalogue, les 10 paroles, reprises dans le christianisme sous le terme des Dix Commandements. Nous pourrions comparer les 10 actes négatifs du bouddhisme et le Décalogue, mais ce serait déborder de mon propos. Je ferais cependant observer qu’il y a une différence de perspective entre ces deux traditions, les 10 actes négatifs s’adressant à des moines, et les Dix Commandements s’adressant au peuple. Et puis nous aurons l’occasion de commenter une autre tradition, une autre énumération, que vous connaissez peut-être, yamas et niyamas, les 10 préceptes qui sont à la base de la pratique du Yoga classique.
Ce cadre éthique, moral qui vient d’être décrit, est celui que nous avons tous intégré, fort heureusement, car il est la base sur laquelle la vie en société est possible. Cependant il ne peut satisfaire l’homme, la femme en quête de connaissance de soi et de sagesse, en recherche de l’Autre Chose.
Car il y a plus que la morale, il y a plus que l’éthique, appelons-la obligation de conscience. La morale est une obligation par l’autre, en l’occurrence la société, l’obligation de conscience est une nécessité, une exigence issues de la conscience, de l’unité en nous.
Les texte suivant vous propose de pénétrer de façon concrète, pratique dans le regard nouveau et le changement de paradigme que représente l’obligation de conscience.