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Photo du rédacteurAya Slimene

Du sensible et de l’espace intérieur

Sensible est un adjectif qui signifie capable de perception au sens passif et au sens actif le fait d’être capable de sentiment, de ressentir des impressions. Donc perception, ressenti et sentiment sont intimement reliés.

Pour les musiciens la note sensible est la septième note de la gamme, appelée également la sensible.


La question de la perception est centrale : en effet nous connaissons le monde extérieur par nos sens, le toucher étant le plus proche. Je ne peux toucher que ce qui est tout près de moi, mais je peux entendre des sons lointains et percevoir des objets encore plus éloignés. Quant au goût et à l’odorat ce sont des sens assimilables au toucher. Je peux aussi ressentir mon monde intérieur, c’est la proprioception par laquelle j’éprouve des sensations de douleur ou de bien-être. L’être humain connait le monde par l’activité des sens ; les instruments de mesure sont des prolongements des sens, depuis le microscope électronique jusqu’aux télescopes les plus puissants, en passant par la caméra à infra-rouge. En quelque sorte la science se présente comme un prolongement de nos cinq sens.


Le monde sensible est une notion importante dans la pensée indienne ; il représente le monde des objets, des êtres et des choses, en d’autres mots le monde de la matière, dans une acception large du mot : en effet dans la tradition indienne la pensée est matérielle, quoique d’une matière plus subtile que les objets. Le son, la lumière sont d’une matière encore plus subtile. Toutefois l’origine de tout objet sensible réside dans le plan subtil, qu’il s’agisse d’une pierre, d’un corps physique ou d’une couleur, d’une forme, d’un son. Tous sont des objets de perception.


Par conséquent la question de la perception est centrale, puisque c’est elle qui nous transmet l’information sensorielle à partir de laquelle notre cerveau va construire notre propre représentation du monde, en fonction des tendances de notre psychisme. Cela signifie deux choses :

- L’instrument de la perception, le corps, doit être le plus “purifié“ possible afin de transmettre l’information la plus juste. L’alimentation, l’exercice corporel, le mode de vie ont ici une fonction essentielle.

- La pensée et les tendances psychiques conscientes et inconscientes doivent intervenir le moins possible afin que la représentation du monde comporte le minimum de distorsion. On comprend donc que dans la mesure où le cerveau est libéré de toute pensée et de toute impression latente au moment de la perception, celle-ci ne comporte aucune déformation. Cette perception sans image est ce que Krishnamurti appelle la perception directe, où celui qui perçoit voit “ce qui est“ ; ce qui est, tel que c’est, en un mot la réalité.

Ce qui est heureux pour nous c’est qu’il ne s’agit pas de spéculations intellectuelles, mais de choses de tous les jours. Il convient simplement de mettre de l’attention, dans notre relation aux choses. Il n’y a rien à faire en plus, pas de méthode ni d’enseignements complexes à assimiler. Juste l’expérience ordinaire, quotidienne, en toute attention. On nous enjoint souvent de mettre de la conscience : cela ne veut pas dire de réfléchir, encore moins de compliquer ce qui est simple. Cela signifie être pleinement attentif.

En pratique, je touche la table (ou un arbre, ou bien je pose la main sur l’épaule d’un ami). Est-ce que je touche vraiment la table, ou suis-je dans mes pensées, celles-ci pouvant d’ailleurs concerner la table ? Il se peut que j’aie la ferme volonté de toucher la table afin de ressentir sa rugosité, sa texture etc. Dans ce cas je ne suis pas en relation avec la table, comme je ne serais pas en relation avec mon ami si j’avais l’intention de ressentir son corps et son être. La volonté fait obstacle au ressenti. Maintenant, si mon esprit est vacant, sans pensée et sans volonté, je suis réceptif et je me laisse toucher par la table. La difficulté réside en ce que nous recherchons l’excitation, qu’il s’agisse d’une attraction à la fête foraine ou plus subtilement dans l’acte anodin de toucher la table. L’excitation procède de l’attente. Dans l’attente la perception est dévoyée car elle s’est glissée entre l’objet et l’acte de perception. Fort heureusement rien n’est plus simple, plus accessible que de toucher la table sans introduire de contenu psychologique dans l’acte de perception. Il n’est rien d’autre à faire, rien à croire ou ne pas croire. Être présent tout simplement : être présent c’est être dans une écoute sans choix, sans directions, libre de tout contenu psychologique.

La connaissance passe par le sensible ; lorsque cette connaissance n’est pas déformée par le contenu psychologique de la conscience, elle accède à une dimension au-delà du visible, au-delà du sensible. Par exemple, si j’écoute vraiment la personne en face de moi, dans une totale disponibilité, j’entends par-delà les mots, j’entends aussi le poids et la signification des silences. La pratique du yoga ou de l’assise silencieuse est un moyen de devenir plus réceptif, de développer notre sensibilité aux choses et aux êtres, et à ce qui est au-delà de la perception ordinaire.

Le premier maître du courant du Shivaïsme non-duel, Vasugupta, a développé la notion de spanda, l’élan originel, la vibration originelle qui constitue et anime la trame de l’univers. Ceci attire notre attention sur le tout premier mouvement au début de chaque perception, un frémissement presque imperceptible. En ce tout premier moment c’est l’infini, l’invisible qui est perçu. Ainsi il n’est aucun acte, aucun moment de notre vie quotidienne, ordinaire qui ne nous mette en relation avec l’infini, le Soi, Śiva.


Le dé-confinement intérieur : l’espace intérieur


Nous avons besoin d’espace extérieur mais davantage encore avons-nous besoin d’espace intérieur ! Qu’est-ce qui entrave notre espace intérieur ?

Sans aucun doute la pensée psychologique ; elle est issue du moi et tournée vers le moi. Elle se traduit par l’intérêt personnel, l’égocentrisme et la plainte (l’apitoiement sur soi). Il existe, à mon sens, une autre cause à cet enfermement en soi-même, les distorsions du réel dues à nos perceptions erronées. L’état normal, qui accompagne une perception juste, sans déformations, est l’alacrité du corps et de l’esprit. Les Upanishads évoquent la joie de respirer. Il ne s’agit pas d’exercices, de pranayama ! Simplement une respiration libre ; pour cela il faut un espace intérieur. Cette expérience procède du plan du pneuma, l’esprit, lequel transcende le domaine du psychique. Or pneuma, en Grec a aussi le sens de souffle. le Shivaïsme du Cachemire insiste précisément sur la conscience, la perception de l’espace : l’espace extérieur et l’espace intérieur. Celui-ci réside dans le cœur ; il est sans limite, infini et son essence est le Soi, dans ce contexte, Śiva.

Encore une fois, le Tantra non-duel se présente comme une voie destinée “au maître de maison“, c’est-à-dire à tous, pas seulement aux ascètes et aux renonçants. chaque instant de notre vie de tous les jours est le lieu et le moment de la prise de conscience, par la sensorialité, du Réel. L’attitude requise est l’attention, la présence ; et il ne faut pas être trop sérieux sinon l’expérience de la Réalité nous fuit, car celle-ci est le jeu divin de Śiva.

Alain Bonnet

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