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Prendre position, c'est engendrer le conflit

Parmi nos conditionnements il en est un que nous partageons tous : le besoin de prendre parti, d’afficher une opinion à propos de tout et de rien, de nous affirmer par l’expression de nos idées. L’éducation nous a incités très tôt et très vivement à cela. D’ailleurs la liberté d’expression n’est-elle pas l’un des piliers de nos systèmes dits démocratiques ?

Prendre position c’est :

  • réagir ; réagir est devenu une vertu au temps de l’immédiateté de l’information-spectacle. Pourtant réagir c’est se priver de recul, donc de discernement, de lucidité, c’est également alimenter le conflit : en prenant parti je m’oppose à ceux qui ont des opinions différentes, et je renforce cette opposition.

  • s’affirmer : nous obtenons une forme de reconnaissance par nos idées, nos appartenances à tel groupe, tel mouvement.

La question qui se pose  est la suivante : qu’est-ce qui se joue à travers la réaction et l’affirmation de soi ? Quels sont les enjeux ?

Qui réagit, qui s’affirme ? le moi, l’ego, lequel a un besoin impérieux d’être reconnu afin de se sentir exister, tant il est vrai que nous existons à travers le regard de l’autre. Je reviendrai un peu plus loin sur cette question, absolument fondamentale.

Le moi a deux stratégies à sa disposition. La première est celle de l’ascète qui se retire du monde, qui se désengage ; c’est aussi ce que fait l’indifférent, l’égotiste. il y aurait bien des nuances à apporter car l’ascète véritable n’est en retrait du monde qu’en apparence. Seconde stratégie, l’engagement dans le monde ; le problème c’est que tant que la conscience n’est pas éclairée, cet engagement se fonde sur ce que nous venons de décrire, la réaction, l’affirmation de soi, par conséquent le conflit. Il y a une autre façon de se situer, qui n’est pas une troisième voie, car elle ne relève d’aucune stratégie ; celle du sage, qui s’engage, mais pas de façon partisane, et sans enjeu psychologique. La différence c’est le recul, c’est la lucidité.

Remarquons que la première stratégie, celle du retrait, du désengagement repose sur une conception négative du moi : le moi c’est l’obstacle, la pensée aussi. C’est loin d’être totalement faux. L’autre conception dit ceci : le moi est nécessaire, seulement, tout comme la pensée, il ne doit pas prendre toute la place : le moi, la pensée sont de bons serviteurs mais de mauvais maîtres. La tradition indienne dans son ensemble considère que le moi est un reflet, mais déformé du Soi ; c’est ainsi qu’elle nomme la Réalité Ultime, l’esprit si l’on veut, ou encore le divin.

 

De façon concrète, pratique, que pouvons-nous faire ?

  • dans un premier temps, observer nos réactions, à quel point un mot, une image, un symbole nous font réagir, de façon irrationnelle ; observer combien nos réactions sont quasi automatiques, prévisibles. Dans un second temps, observer ce qui les sous-tend, et qui les exacerbe, à savoir l’émotionnel, l’affectif, l’image de soi. Plus encore, ce que la tradition de l’Inde appelle vasanas, qui sont les tendances latentes, les impressions. Mais tout cela vous devez le voir par vous-même.

  • le troisième temps, évidemment, consiste à prendre du recul, ce qui advient naturellement lorsque nos réactions sont comprises. Le recul n’est pas une question de temps, c’est une question d’espace, ce que suggère le mot lui-même : le recul c’est où et comment je me situe face à un évènement. Bien sûr plus les émotions sont puissantes, moins prendre du recul est facile. dans ce cas il convient simplement de rester dans le stade précédent de l’observation. Et c’est déjà beaucoup. 

 

Dans chacun de ces temps, avant tout se détendre, renouer avec sa respiration, tranquillement, sans effort, sans compétition.

Les occasions ne manquent pas pour “s’exercer“ ; par exemple les informations.  Comme nous sommes vite dans un camp ou dans l’autre, comme nous réagissons au quart de tour à une personne, un slogan etc…

Une chose très simple que chacun peut faire, c’est se poser. C’est une nécessité ; si nous ne prenons pas de temps pour nous extraire du rythme du monde, alors le tourbillon de l’agitation nous emportera comme feuille morte, alors le bruit prendra possession de notre mental et de nos cellules, trouver le silence deviendra extrêmement difficile.

Comment faire pour se poser ? la relaxation, la méditation, l’art, les bhajans, ces magnifiques chants dévotionnels de l’Inde, les mantras, la méditation, le yoga, tout simplement la marche, etc. Finalement ce ne sont que des moyens, il s’agit de rester spontané, naturel : se poser simplement sans plus de questions, sans rechercher la méthode, le moyen, car être soi-même, être silence, c’est ce que nous sommes profondément. Mais les moyens peuvent nous aider, à condition de ne pas perdre de vue l’essentiel, que nous sommes le repos, que nous sommes le silence. Si nous oublions cela nous serons à tout jamais prisonniers de méthodes, de gurus et courrons de stage en stage à la recherche de la dernière technique à la mode, du dernier guru qui fait le buzz sur le web.

 

Le regard de l’autre : que signifie cette expression ? que nous vivons la plupart du temps en fonction du jugement d’autrui, préoccupés par l’image que l’autre a de nous. Le regard de l’autre c’est notre prison, c’est nous et nul autre qui l’avons construite, nous en sommes le seul responsable. Vous pouvez dire bien haut :“eh bien je ferai ce qui me plait, n’importe quoi, sans me soucier de ce que les autres vont penser.“ Mais ce n’est là qu’une réaction ! Réagir ce n’est jamais être libre, c’est renforcer les murs de la prison. Ne pas réagir, revenir à l’observation, sans jugement, sans condamnation, faire l’effort de se poser, car pour beaucoup d’entre nous, c’est un effort, tout au moins au début. C’est alors que vous commencerez à vivre sous le regard de l’Un, ce regard qui ne juge ni ne condamne, cet Un qui est Présence, Présence au plus intime de vous-même.

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